Le réalisateur Panah Panahi est de passage à Paris pour promouvoir le film de son père, Jafar Panahi, un grand nom du cinéma iranien, incarcéré depuis juillet 2022 dans son pays. Drôle et grave à la fois, Aucun nôtre fait écho à l’actualité dans la République islamique d’Iran où le mouvement de contestation se poursuit sans relâche, en dépit d’une répression meurtrière qui s’accentue. Entretien.
RFI : Aucun nôtre a reçu le Prix spécial du jury à la Mostra de Venise cette année. Il traite de sujets comme l’exil et la privation de libertés. Votre père, Jafar Panahi, a achevé ce film peu de temps avant son incarcération, en juillet. Si vous deviez présenter ce film en une phrase, que diriez-vous ?
Panah Panahi : C’est un film autobiographique – comme tous les films précédents de Jafar Panahi – qui parle des restrictions imposées au peuple, aux cinéastes, aux acteurs et aux artistes en général.
Jafar Panahi, à qui le régime de Téhéran interdit de faire des films, se met d’ailleurs lui-même en scène dans son propre rôle, celui d’un réalisateur voulant tourner une histoire d’amour dans un village du nord-ouest de l’Iran, mais qui est confronté à de nombreux obstacles. Ce film est-il, comme à l’accoutumée dans les œuvres de Jafar Panahi, une forme de combat pour la liberté ?
Justement, c’est l’obsession de chaque artiste vivant dans une société fermée. Quand le régime ordonne des restrictions, l’artiste veut absolument parler et faire en sorte que les autres puissent l’entendre. On demande souvent à Jafar Panahi pourquoi il parle toujours des restrictions, des limites, pourquoi il ne montre pas, dans ses films, des choses positives qui se passent dans la société. Jafar Panahi répond en confirmant que le rôle de l’artiste n’est pas de faire l’éloge de ce qui est positif, de ce qui est libre dans la société. Son rôle consistait plutôt à montrer les limites et les restrictions, à les dépasser en les montrant et à faire naître l’espoir au sein de la société. C’est une contribution à un avenir meilleur.
L’exil est un thème récurrent dans le cinéma iranien contemporain. Alors que certains artistes décident de fuir le régime, Jafar Panahi et d’autres confrères choisissent de résister en restant dans le pays, en dépit de l’oppression, de la censure et des restrictions de libertés.
Vu qu’avec ce régime, on ne peut rien faire, car il ne suscite et ne donne aucun espoir, chacun se pose cette question existentielle : faut-il rester, ou partir ?
Jafar Panahi, lui, veut rester et montrer la réalité du pays. C’est en ce sens qu’Aucun nôtre est autobiographique. L’exil est, en effet, un sujet récurrent dans la société, il est même devenu une obsession chez la plupart des cinéastes en Iran. Les responsables du régime eux-mêmes ont proposé à Jafar Panahi de partir, mais il a refusé de quitter le pays.
Votre père, Jafar Panahi, 62 ans, est l’une des figures de proue de la Nouvelle Vague iranienne. Il a été arrêté plusieurs fois et incarcéré en juillet dernier pour s’être insurgé contre l’arrestation de deux de ses confrères cinéastes : Mohammad Rasoulof et Mostafa Alahmad. Le voir souvent ? Comment va-t-il ?
Avant mon départ d’Iran, il y a trois semaines, je pouvais le voir une fois par semaine. Je lui parle au téléphone tous les jours. Mais comme il n’a pas accès à internet dans la prison, il est très inquiet de ce qui se passe actuellement dans le pays. On essaie alors de lui transmettre, par téléphone, les informations sur les événements en cours.
Quelles sont les conditions de détention de votre père ?
Tous les détenus de la prison d’Evin, à Téhéran, sont des intellectuels, des poètes, des militants écologistes, des cinéastes. Jafar Panahi y est entouré de gens de culture, c’est la spécificité de cette prison. Mais il ne faut pas oublier qu’il n’a pas de contact avec l’extérieur. Être incarcéré à Evin de nos jours, c’est tout de même comme si on fréquentait une université très reconnue du monde, en raison de la présence de gens du milieu de la culture. [Sourire.]
En 2010, Jafar Panahi a été condamné à six ans de prison pour « propagande contre le régime » iranienne, une peine commuée ensuite en assignation à résidence. Ce qui lui a permis de réaliser des films clandestinement comme Ceci n’est pas un film en 2011, Taxi Téhéran (lauréat de l’Ours d’or du meilleur film au Festival de Berlin) en 2015. Aucun nôtre, son nouveau film que vous venez présenter à Paris, a aussi été tourné à la dérobée. Parlez-nous des conditions de tournage.
Les autorités lui ont interdit de tourner des films pendant vingt ans, mais Jafar Panahi ne pouvait pas accepter une telle phrase. Comme il ne reconnaissait pas la légalité de cette condamnation, il s’est dit qu’il devait poursuivre son travail de réalisateur.
Commentaire at-il contourné cette interdiction pour Aucun nôtre et aussi pour ses films précédents ? Quels étaient les subterfuges ?
Comme ses films n’ont pas été projetés en Iran – et il savait qu’ils ne le seraient jamais –, il ne s’est pas imposé de restrictions lui-même. Il a fait ce qu’il fallait faire, il a dit ce qu’il fallait dire.
Étant donné que tout le monde évitait de travailler avec lui et qu’il ne pouvait pas réaliser ses films dans les rues, en extérieur, il a trouvé cette solution : faire des films dans un milieu fermé, avec un décor limité. Par conséquent, les scènes sont restreintes, avec des éléments rudimentaires, car il ne pouvait pas tourner avec un groupe élargi dans l’espace public.
Vous avez travaillé avec votre père sur le tournage de plusieurs de ses longs métrages, notamment Trois Visages (Prix du scénario au Festival de Cannes) en 2018. Qu’est-ce qui a changé, cette fois-ci, avec Aucun nôtre ?
Comme il y avait beaucoup de pressions sur Jafar Panahi et de restrictions imposées par le régime de Téhéran, on voit bien que son regard n’est pas un regard d’espoir, mais davantage de désespoir. Cependant, il ne s’agit pas d’un désespoir vis-à-vis de la société iranienne, mais plutôt vis-à-vis du régime, c’est-à-dire que son désespoir vient du régime et non de la société . Il garde toujours espoir en la société, en son pays.
Les autorités iraniennes interdisent à votre père de tourner des films, de parler aux médias et également de voyager à l’étranger, ce qui n’a pas empêché ses productions de sortir du pays. Est-ce une forme de tolérance de la part du régime ? Une sorte de jeu du chat et de la souris ?
Le régime ne sait pas vraiment quoi faire avec des artistes comme Jafar Panahi. Il interdit la sortie de ses films du territoire. Mais grâce à internet, ses films peuvent voyager hors d’Iran, passant par le téléchargement.
Aucun nôtre ne devait sortir en salles, en France, que le 4 janvier 2023. Mais le distributeur, ARP Sélection, a décidé d’avancer la date au 23 novembre en raison de l’actualité en Iran où le mouvement de contestation se poursuit sans relâche depuis le décès de la jeune Mahsa Amini le 16 septembre, et ce, en dépit d’une répression meurtrière qui s’accentue. Quel regard portez-vous, Panah Panahi, sur ces manifestations d’une ampleur sans précédent depuis celles de 2019 contre la hausse du prix de l’essence ?
Je porte un regard plein d’espoir sur les événements en Iran. Si on m’avait posé cette question il y a deux mois, c’est-à-dire avant le soulèvement actuel, je n’aurais pas dit la même chose. Parce que, comme la plupart des gens, j’étais désespéré. Deux mois avant, j’avais affaire à une société pleine de désespoir, mais qui ne le manifestait pas au grand jour. Tout cela a été la cause de cette explosion de colère, qui nous a conduits à voir notre propre réalité. Puis, cette colère s’est transformée en amour, en une unité extraordinaire. Comme nous n’avons plus rien à perdre, nous n’avons plus peur. Nos sentiments et nos valeurs, qui étaient réprimés par le régime iranien, remontent maintenant à la surface.
Désormais, le peuple fait clairement savoir qu’il aspire à la liberté.
Absolument. Nous avons atteint un point de non-retour !
Dans plusieurs villes, on entend des slogans contre le régime, on voit des images de femmes enlevant et brûlant leur foulard lors des manifestations. Malgré les procès de personnes arrêtées et passibles de la peine de mort, les manifestations se poursuivent, sans répit. Pour combien de temps encore, selon vous ?
Même si le régime permet de réprimer ce soulèvement, il y en aura d’autres à l’avenir. Si l’on observe ces quarante-trois dernières années, on voit bien que les espaces-temps entre les soulèvements sont raccourcis.
Croyez-vous donc à un changement de régime en Iran ?
Oui, j’y crois à cent pour cent. Je ne peux pas dire dans combien de temps. Dans un an, des événements très importants se produiront certainement. Lorsqu’une société arrive à un tel point de non-retour, il n’y a plus de possibilité de réconcilier cette société avec le régime en place.
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