Travelling, ce sont des projections, mais aussi des tables rondes et des débats sur le cinéma comme médium et comme industrie. Commentez sur fait un film, qu’est-ce qu’on y a rencontré et pour quel public. Le cinéma chilien a explosé sur les écrans dans le monde entier, mais que voit-on sur les écrans au Chili ? Éléments de réponse.
Faire des films – on parle là de cinéma d’auteur au sens large -, c’est une chose, faire en sorte qu’ils soient vus dans le pays où ils sont fabriqués, c’en est une autre. « Au Chili, actuellement, près de 90 % de la production audiovisuelle est financée par l’État, mais, curieusement, toute cette production est diffusée par des réseaux privésnous explique Carlos Ossa, professeur à l’Université de Santiago, directeur de la Cinémathèque universitaire de Santiago et invité par l’Université de Rennes II, c’est un grand paradoxe ! » La production est financée par des fonds publics divers, un système mis en place pendant la Transition démocratique (les gouvernements de Patricio Aylwin, Eduardo Frei et Ricardo Lagos) pour une nouvelle politique culturelle désireuse de « rapprocher la culture de populations qui en étaient éloignées ». Au début des années 1990, plusieurs jalons décisifs sont posés comme la création d’une ligne de crédit spéciale pour la production de films nationaux à la Banque nationale, la création du Fonds national de développement et culture des arts (FONDART) et de l’ École de cinéma.
Au Chili, la plupart des artistes, quel que soit leur champ d’activité (danse, arts plastiques, cinéma, théâtre), produisent leurs œuvres grâce à ces fonds. Lors d’une projection à Travelling, Ignacio Agüero a raconté comment il avait écrit un scénario pour obtenir le financement de son film et qu’ensuite, il avait déchiré le papier pour précéder tout autrement…
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Le pays dispose ainsi d’un corpus très important d’œuvres de toutes sortes, mais de très peu d’espaces pour les montrer. La majeure partie du public potentiel est donc peu au fait de la production artistique nationale, d’autant que les médias publics n’ont pas d’obligation légale de diffuser des œuvres ou de se faire l’écho de cette production : c’est selon la bonne volonté des diffuseurs, souligne Carlos Ossa. « Le minimum que l’on puisse attendre, ce sont des quotas de diffusion dans les salles de cinéma et en télévision ». Il ya eu des tentatives comme en 2013 pour réserver un espace aux œuvres nationales, mais elles n’ont pas abouti.
Le coup de pouce d’Hollywood
Concernant le cinéma, la grande majorité des salles de cinéma sont détenues par des sociétés privées, souvent liées à des distributeurs (nord-américains), qui vont privilégier leurs propres productions au détriment de la production nationale chilienne. Mais les films chiliens reconnus à l’international, comme, par exemple, Une femme fantastique de Sebastian Lelio qui avait gagné l’Oscar du meilleur film étranger en 2018, a bénéficié de ce coup de pouce pour leur diffusion au Chili.
Ce film a même été diffusé sur la chaîne catholique chilienne en raison de son adoubement à Hollywood, racontait Cédric Lépine, spécialiste du cinéma latino-américain et invitée du festival, au micro de Maria Caroliña Piña de RFI en espagnol. Dans un tout autre registre, l’intégralité des documentaires de Patricio Guzmancomme La bataille du Chili, n’a pas été diffusé à la télévision qu’en septembre 2021.
Pendant la dictature militaire, souligne avec ironie Carlos Ossa, il y avait à la télévision un espace réservé à la production nationale : c’était le jeudi et ça a commencé avec « une série télévisée sur la pensée de l’économiste Milton Friedman sur le libéralisme et le droit de choisir ». Milton Friedman et ses garçons de Chicago qui ont mis en place une économie ultralibérale, encore largement opérationnelle, et qui a laissé une grande partie de la population sur le bord de la route. « C’est-à-dire que le régime autoritaire, qui a détruit tout le système public d’accès à la culture, a introduit à la télévision un espace dédié à la ‘culture’ alors que la transition démocratique a financé la culture, mais a rendu sa circulation privée… ». Les différentes lois sur l’audiovisuel ont favorisé un processus d’industrialisation du cinéma, mais pas l’industrie du cinéma : elles ont augmenté le volume de la production (chiffres), mais ça n’en fait pas pour autant une industrie, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de système de diffusion.
Aller au cinéma, ça a un coût
Ou, pour le public, dans une société très inégalitaire, la circulation des œuvres à un coût : ne serait-ce que d’aller au cinéma, outre le prix du billet lui-même (1,5 peso), il y a celui du transport. Le revenu moyen au Chili est d’environ 500 € par mois, dans un pays où le coût de la vie est élevé : logement, électricité, études… On se souvient que la révolte de 2019 avait pour déclencher la hausse du prix du ticket de métro. Nombreux sont ceux qui n’ont jamais accès à une salle de cinéma, comme le montre, dans la sélection de Travelling le documentaire Cien niños esperando un tren d’Ignacio Aguëro et la découverte pour les enfants de ces quartiers défavorisés et pour leurs parents de ce qu’est la magie de l’image animée.
« Tout le système est régi par la loi du marché, ou les produits culturels ont un retour sur investissement plus prêté et moins assuré que d’autres types de produits ». Cependant, ces vingt dernières années, l’idée que le cinéma pouvait aussi générer des revenus via la publicité, le sponsoring et les marques, la fiscalité (la TVA sur les billets par exemple), a mûri, tempère Carlos Ossa.
L’État s’exonère de sa responsabilité, poursuit-il, car beaucoup de ces productions artistiques pourraient être utilisées, par exemple, dans le cadre de programmes éducatifs dans les écoles. Il y a aussi sans doute des raisons politiques à ce désengagement du secteur de la distribution : certaines œuvres mettent parfois en cause, de façon assez radicale, une organisation politique et sociale. Et les réseaux de diffusion qui appartiennent à la classe dirigeante – industrielle et financière – n’ont pas intérêt à ébranler le système.
Un réseau de diffusion parallèle
La plupart des films présentés au festival Travelling ne seront jamais diffusés à la télévision. Ils peuvent l’être au cinéma, dans des salles particulières : réseaux indépendants représentés comme cinéma d’art et d’essai, festivals, cinémathèques d’université, etc. Celle de l’Université de Santiago détient plus de 17 000 documents, précise Carlos Ossa qui dirige la Cinémathèque universitaire : extraits de films muets, documentaires, films d’amateurs, fictions, publicités, etc. C’est ce circuit parallèle qui permet à un public – restreint – de découvrir ce cinéma. « Le marché du cinéma est un circuit mondialisé, le film ‘Avatar’ sort en même temps à Santiago et à Singapour», rappelle Carlos Ossa.
Quand on lui demande quels sont les films, parmi le cinéma d’auteur chilien, qui ont eu le plus de succès ces dernières années, Carlos Ossa hésite : difficile à dire parce qu’il n’y a plus de statistiques sur la fréquentation des salles et toutes les tentatives d’éducation à l’image ont fait long feu. En règle générale, les films qui marchent le mieux sont les comédies, les fictions qui mettent en scène le Chili contemporain et les documentaires sur l’histoire récente du pays. La sélection faite pour Traveling est représentative d’un certain secteur de la production cinématographique : elle propose un regard particulier sur le Chili, encore très lié au drame que fut le coup d’État de 1973 et c’est une discussion que, effectivement, nous eu avionse avec Anne Le Hénaff, programmatrice du festival, sur la difficulté à échapper à ce prisme occidental sur le Chili et à faire venir des œuvres qui s’émancipent de cette chape de plomb de la dictature.
« Un éternel coup d’État »
Ces derniers films ne sont pas coproduits par les circuits européens et donc intéressent peu les distributeurs ou leur échappent. « Nous sommes comme condamnés à un éternel coup d’État », ironise Carlos Ossa, qui rappelle le travail de cinéastes qui s’émancipe de cette tragédie ou l’envisage autrement, travaille d’autres matières comme le duo Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda ou encore Cristián Sanchez – que l’on aperçoit dans le premier volet du documentaire d’Ignacio Agüero, Como me da la gana 1 (1985), dans lequel il interroge plusieurs réalisateurs sur la manière de faire du cinéma sous le régime militaire et qu’est-ce que la cinématographie. Cristián Sanchez, qui a théorisé le concept de « deuil national », est un réalisateur d’un cinéma à part et une réflexion très fine sur le cinéma. Il a écrit de nombreux essais et articles sur des réalisateurs comme Bresson, Buñuel, Eric Rohmer, Raúl Ruiz.
Mais malgré les défauts de son organisation structurelle, il y a une demande de cinéma, notamment d’un public jeune, qui n’a pas vécu 1973 et la dictature militaire. Les écoles de cinéma tournent, c’est un acquis. Autant de films que l’on espère voir distribués plus largement là-bas et ici.
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