On pourrait croire à un conciliabule de conjurés. Emmanuel Grégoire a donné rendez-vous dans un petit restaurant aux murs un peu décatis du boulevard Saint-Germain, mais assez loin de l’Assemblée nationale. Affûté, détendu, le député de Paris s’assied sur une banquette de skaï, commence à entamer un bout de pain mais, très vite, se redresse avec un « ça alors ! » accompagné d’un grand sourire. Le candidat socialiste à la Mairie de Paris vient de voir entrer dans ce bistrot charmant deux autres têtes coupées, comme la sienne, par Anne Hidalgo : Pierre Lombard, fils du ministre de l’Économie et ex-directeur adjoint de cabinet de la maire de Paris, et Aurélie Robineau, ancienne secrétaire générale de la Ville.

Le premier a été répudié par la maire de la capitale parce qu’il a pris fait et cause pour Place publique (le parti de Raphaël Glucksmann) ; la seconde, pour s’être opposée à elle durant la crise du Covid. Les bannis de Paris forment une sorte de confrérie : Emmanuel Grégoire, qui est aussi leur ami, les embrasse comme du bon pain, avec force, caresses et tapes dans le dos.

On s’attend à ce que l’ex-dauphin d’Hidalgo en profite pour vider son sac, dire tout le mal qu’il pense de la maire de Paris, et par la même occasion débiner le nouveau chouchou d’Hidalgo, Rémi Féraud, que Grégoire affrontera dans une primaire déjà tendue. Eh bien, non. Grégoire est quasi irréprochable. Sans doute pour éviter de souffler sur des braises déjà rouges, il évite soigneusement d’attaquer celle qui, pourtant, ne l’épargne pas.

Quelques jours avant notre rencontre, Le Canard enchaîné rapporte, par exemple, qu’elle le qualifie en petit comité d’« abruti ». Emmanuel Grégoire préfère en rire. Entre deux bouchées d’onglet bien rouge, il confirme aussi l’information : oui, au début de l’été, Anne Hidalgo l’a bien privé de JO. Quelques jours avant l’événement sportif, il avait en effet décroché sans son accord la 7^e circonscription législative de Paris. En réponse, elle a tranché dans le vif : puisque le député Grégoire ne peut plus cumuler avec le poste de premier adjoint, il n’aura pas droit aux deux places initialement réservées pour la cérémonie d’ouverture.

Grégoire, un peu sonné, tente bien d’en obtenir d’autres, mais il fait chou blanc. Le cabinet d’Hidalgo n’a pas trouvé un seul siège pour lui parmi les dizaines de milliers de places. Emmanuel Grégoire en est meurtri : à Matignon, aux côtés du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, puis à l’Hôtel de Ville de Paris, comme bras droit d’Anne Hidalgo, il a travaillé dix ans sur le dossier des JO. « C’est sans doute le plus grand chantier professionnel de ma vie », dit-il.

Machine arrière

Emmanuel Grégoire connaît par cœur Anne Hidalgo. Il a passé une dizaine d’années à ses côtés, d’abord comme lieutenant dévoué, puis comme dauphin, avant d’être répudié. Il a vécu sans trop regimber ce qu’il considère comme des brimades, puis comme une détestation, sans en connaître vraiment la cause. « En septembre 2020, dans Paris Match, elle dit pourtant : “Emmanuel Grégoire serait un candidat parfait pour me succéder” », se souvient-il mot pour mot. Exemple parmi d’autres de cette animosité : pendant l’épidémie de Covid, elle le contredit publiquement après qu’il a souhaité, en conférence de presse, procéder à un nouveau confinement. « Le communiqué de presse avait pourtant beaucoup circulé. Elle s’est peut-être dit que le démenti ou l’humiliation étaient plus pertinents… » raconte le député. Il pense qu’Anne Hidalgo ne veut pas faire de vagues en défendant un reconfinement avant la présidentielle de 2022, à laquelle elle se présentera.

Anne Hidalgo supporte mal « la contradiction », confie son ancien premier adjoint. Elle n’apprécie pas non plus qu’on rompe le lien avec elle sans son accord. Emmanuel Grégoire va le faire avec fracas en février 2024. Dans un article du Monde, il plaide pour une « nouvelle histoire » à Paris, façon pas très élégante d’en finir avec celle d’Hidalgo. « J’avais quatre sondages indiquant une cote d’alerte pour la gauche à Paris, se justifie Emmanuel Grégoire. De plus, les jours précédant cet entretien, elle avait commencé à prendre ses distances. Elle s’en est ouvert auprès de certains amis, qui me l’ont rapporté. J’étais surpris et déçu, j’ai compris que je n’aurai pas son soutien. C’est là que j’ai décidé d’avancer librement. » Mais la prise d’indépendance de Grégoire ne passe pas. La maire de Paris pique une colère. Très vite, il fait machine arrière. Il revient sur ses propos, quitte à apparaître comme velléitaire. « Il fallait revenir à la raison », observe-t-il aujourd’hui.

Anne Hidalgo est une femme exceptionnelle, avec de bons et de mauvais côtésEmmanuel Grégoire

La dissolution de juin va finir de le séparer d’Hidalgo. Emmanuel Grégoire tergiverse un peu, en refusant d’abord de briguer la 7e circonscription de la capitale, puis se ravise. Il revient de Sicile où il était parti le dimanche, dès après l’annonce de la dissolution, et annonce sa candidature alors que Lamia El Aaraje, une proche d’Hidalgo, est sur les rangs. « Il y a parfois une frontière ténue entre la colère et l’humiliation, philosophe Emmanuel Grégoire en se remémorant cette période agitée. C’est par colère qu’elle a poussé la candidature de Lamia El Aaraje. Je l’ai pris comme une épreuve et une opportunité : je devais réaffirmer ma légitimité. J’ai peut-être perdu ma proximité avec elle, mais j’ai renforcé mon lien avec les Parisiennes et les Parisiens. J’ai pris un risque, mais j’ai gagné ma liberté. »

Emmanuel Grégoire veut en finir avec l’image docile et policée du premier adjoint, capable d’avaler sans ciller les foucades de la maire de Paris. Il ne veut plus, dit-il, « faire allégeance à qui que ce soit ». Il dit d’ailleurs, curieusement, qu’elle lui a appris à ne plus le faire. « C’est une femme exceptionnelle, avec de bons et de mauvais côtés, et elle m’a transmis plus qu’à n’importe qui, puisque j’ai été son premier adjoint dans les moments les plus âpres. J’ai toujours pensé que mon sens du compromis était une force pour elle ; elle n’y voyait qu’une source de faiblesse. Je le regrette. »

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Il pense avaler d’une bouchée Rémi Féraud, le sénateur de Paris désigné par Anne Hidalgo pour lui succéder. La primaire socialiste devrait se dérouler tout début avril. En attendant, entouré d’une petite escouade de conseillers, il sillonne les sections socialistes de la capitale. Il y a quelques jours, son équipe a publié une liste de 650 militants prêts à voter pour lui. La fédération PS de la capitale compte quelque 3 700 militants mais les soutiens qu’il affiche lui donneraient, assure son entourage, une avance déterminante.

Grégoire peut aussi compter sur Olivier Faure, le patron du PS, ennemi intime d’Anne Hidalgo. Il en est proche, même s’il a voté, comme beaucoup dans l’entourage d’Hidalgo, contre l’actuel premier secrétaire lors du dernier congrès du parti. Il voit aussi régulièrement Bertrand Delanoë, qui en privé ne ménage pas ses critiques contre celle qui lui a succédé à l’Hôtel de Ville. On pourrait presque croire, là encore, à une conspiration de conjurés.