Si cette réunion était un film, elle serait probablement un western. Difficile, à cette heure, de déceler la brute du bon ou le bon du truand ; mais tous les protagonistes avaient décidé, ce jour-là, d’être impitoyables. L’Équipe a exhumé, mercredi 19 février, une réunion houleuse entre les présidents de la Ligue 1 de football à l’été 2024. S’y discutaient les droits télévisuels du championnat français et, par corollaire, leur montant, répartis ensuite entre les clubs.

Le duel au soleil prend place le 14 juillet. Dans cette réunion en visioconférence est négociée la répartition des droits télé pour la période 2024-2029. Si l’on savait que cette réunion avait abouti à la diffusion de huit matchs sur neuf, à chaque journée, sur DAZN, le dernier match échouant à beIN Sports, on ignorait jusqu’ici la teneur des discussions. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles furent le signe de relations houleuses.

À LIRE AUSSI DAZN et la L1 dans le rouge : le football français proche du précipiceAu micro, le président de la Ligue de football professionnel (LFP), Vincent Labrune, rappelle l’offre de 100 millions d’euros proposée par beIN Sports pour s’arroger la diffusion de la dernière journée. « Je tiens déjà à dire merci à beIN Sports et à Nasser al-Khelaïfi [président de la chaîne, NDLR]. Ils n’étaient obligés de rien et ils le font encore, de venir au soutien du football français. »

« Tu as agi contre la Ligue, contre les clubs »

Une allégeance loin d’être du goût de tous les protagonistes. Benjamin Morel, directeur général de LFP Media, filiale commerciale de la Ligue, se montre circonspect : la proposition de beIN est incompatible en l’état avec l’offre de DAZN. Le groupe qatari souhaite, par exemple, une exclusivité mondiale sur les droits sponsoring de la LFP, ce qui est contractuellement impossible.

Et Nasser al-Khelaïfi de tancer le dirigeant : « Depuis dix-huit mois, tu as mis la Ligue dans le pétrin. […] Tu as agi contre la Ligue, contre les clubs, contre tout le monde ! » L’heure est grave : pour la première fois de son histoire, la Ligue n’a pas de diffuseur pour ses matchs. « Je te promets que tu seras tenu pour responsable de tout ce qui a été fait », menace encore « NAK ».

Au fil des minutes, le ton monte. Joseph Oughourlian, président du Racing Club de Lens, goûte peu les invectives d’Al-Khelaïfi. « Laisse-moi finir maintenant, ça suffit. Tu as parlé trois fois, Nasser. » De là, il attaque l’homme d’affaires. « Je pense qu’il faut que tu comprennes un concept qui, visiblement, vous échappe chez beIN, ou au PSG, ou aux deux, qui s’appelle le conflit d’intérêts. »

Le conflit d’intérêts de « NAK »

Le dirigeant français tape là où ça fait mal : en plus d’être le président de beIN Sports, Nasser al-Khelaïfi est égalementcelui du Paris-Saint-Germain, depuis 2011. Le chef d’entreprise qatari opère donc, lors de cette réunion, avec une double casquette. Il négocie des droits TV pour sa propre chaîne, dont une partie du montant reviendra donc à son club, au titre de la répartition de ces droits entre les clubs professionnels.

Un argent en vase clos, d’autant qu’en sa qualité de champion de France de Ligue 1 et pensionnaire régulier de la Ligue des champions le PSG s’octroie souvent la plus grosse part du gâteau. La réunion commence à ressembler à Règlement de comptes à O.K. Corral. Le président de l’Olympique lyonnais, l’Américain John Textor, très critique de la LFP et du PSG, intervient : « Si nous manquons de temps, peut-être qu’un autre président que Nasser devrait parler. »
À LIRE AUSSI Pourquoi la Ligue 1 sombre tristement dans l’indifférenceIl accuse le dirigeant du PSG d’être un « tyran ». Réponse immédiate de l’intéressé : « John, John, John, John, John, arrête de parler. Tu ne comprends rien. Tu viens de je ne sais où, cow-boy, et tu nous parles. » La discussion va se poursuivre pendant deux heures, dans une atmosphère toujours aussi délétère. Les dirigeants du football français finiront par s’accorder, à seize voix contre deux, sur la piste DAZN-beIN.

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Piste qui, sept mois plus tard, est un cuisant échec : face à un désamour inouï (moins de 500 000 abonnés au bout de six mois de mise en service), DAZN a tout bonnement refusé, en ce mois de février, de payer l’intégralité de son échéance due à la Ligue. Le diffuseur britannique a même saisi la justice pour contester l’application de son contrat de 375 millions d’euros sur cinq ans.

Ce n’est pas simplement une affaire de gros sous entre quelques privilégiés : c’est aussi une question de survie pour le football français ; plusieurs clubs professionnels dépendent aussi des droits TV – qui sont déjà passés de 726,5 millions d’euros pour 2016-2020 à 500 millions d’euros pour 2024-2029. Le torchon brûle et les présidents, eux, se battent au milieu des flammes.